La propriété intellectuelle à l’épreuve des NFTs

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Le monde de l’art et de l’influence fait actuellement face à de nouveaux défis, notamment juridiques, encadrant le monde virtuel. Face à ce phénomène, le droit n’a que la possibilité de s’adapter. Alors que le premier NFT est créé en direct en 2014 à l’occasion de la conférence Seven on Seven à New York, il se démocratisera quelques années plus tard et s’insèrera progressivement dans le monde. Dès lors, et du fait de la nature spécifique des NFTs, nous devons faire face à des questions de droit de la propriété intellectuelle particulièrement épineuses.  Parler de NFTs, c’est aussi parler de blockchain et de smart contract.


La blockchain est une immense base de données partagée entre tous les membres d’un réseau, et qui se base sur une technologie de transmission d’informations transparente, sécurisée et sans entité centralisée de contrôle. La donnée est stockée via un réseau dit peer to peer, qui implique une coopération entre les utilisateurs au cours de laquelle chacun valide les transactions. C’est dans ce cadre-là que s’inscrivent les NFTs, et par extension, les smart contracts.

Le smart contract, ou encore « contrat intelligent », est un programme informatique publié sur une blockchain dont le but est d’exécuter automatiquement des instructions prédéfinies (les conséquences du contrat), quand des conditions précises sont rencontrées (les termes du contrat). Quant aux NFTs, ce sont des « Non-fungible Token », soit des actifs non fongibles, qui ont la particularité de rendre un fichier numérique unique, afin de pouvoir obtenir la propriété exclusive de l’œuvre originale qu’ils contiennent. Un NFT est une pièce unique, au même titre qu’un tableau ou qu’une maison. C’est en ce sens qu’il est non fongible, il ne peut pas être remplacé ou échangé. Ces trois notions sont particulièrement liées, en ce qu’un NFT est créé et inscrit dans une seule et unique blockchain, et est généralement encadré par un smart contract. Le NFT existe sur la blockchain et prouvera l’authenticité du bien (numérique) acheté.

fonctionnement des NFT artistiques

Schéma explicatif du NFT

Ainsi, les NFTs conduisent à s’interroger sur l’articulation juridique de son objet avec le droit de la propriété intellectuelle.  Bien que le NFT ait une qualification juridique particulièrement ambiguë, et, in fine, un régime indéterminé (I), il est surtout source de contentieux dans le domaine de l’art et de la mode (II).

I ) Le NFT, une qualification juridiquement ambiguë

La difficile qualification juridique du NFT artistique découle de l’absence de définition légale. Pour y remédier, le NFT artistique tend à procéder à une analyse fonctionnelle.

A.   La qualification juridique du NFT par une analyse fonctionnelle

De l’analyse fonctionnelle du NFT artistique, découle plusieurs usages qui incarnent une potentielle qualification juridique préexistante.

1. Le NFT, un actif numérique financier ?

Un premier pas a été franchi par le législateur en matière fiscale, où les actifs numériques sont séparés en deux catégories : les jetons et la monnaie par la loi PACTE du 22 mai 2019. Bien que la loi PACTE ne vise pas directement les NFTs, elle définit le jeton comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » (Article L. 552-2 du Code monétaire et financier).

Or, de cette définition, subsiste un manque d’éléments qui permettraient d’inclure les NFTs dans le champ d’application de cet article.  En effet, elle ne vise pas précisément le cas des NFTs, en ce qu’elle a été rédigée dans le cadre du régime des Initial Coin Offerings (ICOs). Dès lors, elle n’inclut pas tous les NFTs mais simplement à ceux émis dans le cadre des ICOs. De plus, le jeton non fongible se distingue du jeton en ce qu’il ne représente pas toujours un ou plusieurs droits, notamment lorsqu’il remplit une fonction de certificat d’authenticité, ou encore, lorsqu’il incarne une chose incorporelle, comme un tweet. Dès lors, pour entrer dans la catégorie des « jetons » mentionnés à l’article L. 522-2 du CMF, le NFT doit présenter certaines caractéristiques, telles que fonctionner sur un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier (DEEP) directement ou indirectement le propriétaire dudit bien, constituer un bien incorporel, et représenter, sous forme numérique, un ou plusieurs droits.

Néanmoins, le NFT est susceptible de constituer un actif numérique, notamment dans le cas où il serait représentatif, par exemple, d’un droit d’accéder à un showroom privé. Dès lors, il entrerait dans les conditions énoncées à l’article L.552-2 du CMF. Néanmoins, le NFT ne constitue pas, de facto, un actif numérique.

2. Le NFT artistique, entre œuvre de l’esprit et support d’une œuvre de l’esprit ?

Ces dernières années, le NFT a su s’intégrer au monde artistique. Dès lors, il se confronte inévitablement à l’éventuelle qualification d’œuvre de l’esprit. De cette qualification, des intérêts pourraient naître, comme la reconnaissance d’un droit de propriété incorporel, faisant alors du NFT un actif incorporel protégeable par des droits de propriété intellectuelle. Néanmoins, le NFT ne remplit pas les critères de définition du bien incorporel, ni ceux de l’œuvre de l’esprit. En effet, le NFT ne présente aucune originalité et ne résulte pas d’un processus créatif.

Par ailleurs, il convient de relever que la propriété incorporelle de l’œuvre se distingue de la propriété matérielle du support de l’œuvre, définie à l’article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle. Le NFT pourrait alors, à l’image de la toile arborant la peinture, incarner le support d’une œuvre de l’esprit. Cette analogie est rejetée par la doctrine, en ce que le NFT ne « supporte » pas l’œuvre, mais joue plutôt un rôle d’hébergeur. En effet, le NFT n’est qu’un lien cryptographique avec l’œuvre et sa représentation. Ainsi, le NFT se rapproche davantage de la notion de certificat d’authenticité. Un certificat d’authenticité est un document qui permet d’attester la paternité d’une œuvre, délivré par l’auteur de l’œuvre ou par un professionnel expert. Le NFT présente alors l’avantage de pouvoir garantir la paternité et l’authenticité d’une œuvre, de manière infalsifiable grâce à son inscription sur la blockchain.

En somme, l’absence de reconnaissance légale d’un droit de propriété au titulaire du NFT portant sur son objet fait qu’il n’existe pas de qualification juridiquement claire des NFTs. Il n’en demeure pas moins que le NFT, selon son objet, est susceptible d’octroyer à son propriétaire des droits. 

B.   Les droits liés à la propriété du NFT

En effet, le NFT peut, à certains égards, être considéré comme un titre de propriété.

1. Être propriétaire d’un NFT, ou plutôt d’un jeton numérique d’accès

Le fait d’acquérir un NFT se traduit concrètement par le fait d’obtenir un jeton d’accès, qui permet d’accéder à un fichier enregistré sur une blockchain. Cette inscription sur la blockchain emporte création d’un droit de propriété du titulaire, de la même manière que l’inscription en compte d’une action. Ce fichier est un certificat d’authenticité, qui apporte la preuve de la validité de la transaction, à priori infalsifiable.

Dès lors, la propriété du NFT ne semble pas différer de celle portant sur une œuvre classique qui, quant à elle, octroie des droits moraux et patrimoniaux classiques. Néanmoins, l’acquisition d’un NFT n’est pas synonyme d’une acquisition automatique des droits patrimoniaux d’auteur sur une œuvre numérique, des droits d’exploitation d’une marque, d’un dessin ou d’un modèle ou encore, un droit d’exploitation de l’image d’une personne physique.

2. La mise en œuvre indirecte des droits liés à la détention d’un NFT : l’exemple du droit de suite

La mise en œuvre des droits liés à la détention d’un NFT se trouverait facilitée dès lors que l’on considère que le droit positif en matière de cession et d’exploitation des droits liés à la propriété intellectuelle s’appliquent. Ainsi, se pose la question du droit de suite. L’article L. 112-8 du Code de la propriété intellectuelle reconnaît aux auteurs d’œuvres originales graphiques et plastiques le droit de percevoir un pourcentage sur les ventes d’une œuvre « après la première cession opérée par l’auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l’art. » En conséquence, le droit de suite peut être mis en œuvre dès lors que la revente porte sur une œuvre graphique ou plastique (tableaux, dessins, photographies, gravures…), qu’elle porte sur l’œuvre originale tout en faisant intervenir un professionnel du marché de l’art. 

Néanmoins, en matière de redevances sur les reventes successives encadrées par les smart contracts, le droit de suite ne puise sa source que dans le droit contractuel, prévu par les smart contracts. Grâce à la technologie de la blockchain, il est facile de tracer le détenteur du NFT et donc, de verser automatiquement au titulaire des droits les redevances liées à la détention du NFT. Elle diffère de l’article du droit de suite classiquement défini à l’article L. 122-8 CPI, offrant un champ d’application plus restrictif.

Le NFT est avant tout une image, qu’il est facile de récupérer sans en être l’auteur, et d’en tirer profit en l’inscrivant sur une blockchain pour la revendre. Face à un contentieux « classique », le NFT se heurte à la difficulté du caractère appropriable des œuvres qu’ils représentent.

II. Le NFT et les enjeux de contrefaçon

L’affaire des MetaBirkins confronte le droit positif à la question de la contrefaçon dans le monde pixelisé des NFTs. Dès lors, une mise en avant de ce concept a permis de préciser la qualification de la contrefaçon pour des éléments virtuels (A), donnant lieu à des obligations légales, protectrices des ayants droits (B).

A.    Le NFT face aux contrefaçons d’œuvres et de marques

A l’instar des produits copiés dans le monde réel, il semblerait que les produits de luxe copiés dans le monde immatériel pourraient tomber sous la qualification de contrefaçons. Ainsi, la crypto-contrefaçon incarnerait une nouvelle menace pour le monde de l’art.

1. La notion de contrefaçon au sens de la propriété intellectuelle

L’article du Code de la propriété intellectuelle définit la contrefaçon dans son article L. 335-2. Elle vise ainsi « la reproduction et la représentation d’une œuvre (protégeable) sans l’autorisation de l’ayant droit, quel que soit le support, est un acte de contrefaçon. ». En outre, la contrefaçon constitue un délit pénal passible d’au moins 300 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement. Plus largement, elle vise toute violation d’un droit de propriété intellectuelle, qu’il s’agisse de droits d’auteur ou de marque.

En matière d’œuvres d’art, les NFTs n’échappent pas aux règles générales et particulières du Code de la propriété intellectuelle. Une action en contrefaçon contre le détenteur d’un NFT peut être mise en œuvre dès lors qu’une cession de droit n’a pas été encadrée par un contrat contenant l’autorisation expresse du cessionnaire à disposer de l’œuvre associée au NFT.

En matière de marques, la question demeure de savoir si un ayant-droit peut contester, en se basant sur sa marque, un NFT reproduisant sans son autorisation la marque en question. Les artistes dont les œuvres sont illégalement reproduites sous forme de NFTs sont particulièrement difficile à endiguer.

2. Un NFT considéré comme un contrefaisant : l’exemple du MetaBirkins

L’affaire des MetaBirkins illustre la difficulté de l’articulation entre customisation, hommage artistique, contrefaçon et mise en scène d’œuvres dans le NFT. En l’espèce, les titulaires des droits de la maison Hermès ont contesté l’exploitation de l’un de leur modèle de sac « Birkin », particulièrement populaire et reconnu mondialement par sa forme et son nom, que le créateur du NFT a repris, customisé virtuellement par une fausse fourrure créée par un artiste, et vendu sur plusieurs plateformes de vente de NFT. Or, la reproduction et la représentation d’une œuvre protégeable sans l’autorisation du titulaire des droits est un acte de contrefaçon (Article L. 335-2 Code de la propriété intellectuelle).

La marque en question ainsi que la forme du sac sont déposables en classe 18. Or, le libellé d’une marque comprenant les produits de la classe 18, à savoir « sacs à main, sac de voyage, sacs à dos, sacs de soirée : malles et valise », permet difficilement de mettre en œuvre une contestation de l’exploitation d’un sac virtuel présenté sous forme de NFT.

En effet, le NFT est un produit de la classe 9. De même, le terme « sac » du libellé ne précise pas l’aspect matériel ou immatériel de la chose. En considérant que c’est le cas, cela signifierait que les produits cités en classe 9 seraient complémentaires aux produits de la classe 18, entre autres. Or, aux Etats-Unis, le dépôt de marque se fait par classes bien distinctes.

Dans le cadre du contentieux tournant autour des MetaBirkins, le 14 janvier 2022, la société Hermès International a lancé une action devant le United district Court of New York, en se fondant sur sept fondements :

  • Contrefaçon de la marque verbale Birkin et de la marque tridimensionnelle représentant le sac Birkin,

  • Fausse appellation d’origine,

  • Dilution de la marque,

  • Cybersquatting,

  • Atteinte à la réputation,

  • Dilution de l’entreprise,

  • Détournement et concurrence déloyales

Or, l’issue pourrait aller jusqu’à la confiscation ou la destruction des MetaBirkins, dans le cas où ils seraient considérés et jugés comme contrefaisants. Néanmoins, cette destruction ne viserait que les fichiers numériques des sacs eux-mêmes et non les NFTs associés. En effet, l’inscription à une blockchain est définitive, et bien que la valeur associée au NFT se viderait de toute valeur marchande, sa destruction impossible crée une réelle incertitude juridique. Une telle affaire n’est que révélatrice d’une complexité d’articulation entre le monde matériel et le monde immatériel, et du manque d’encadrement juridique qui la comblerait.

 

 

B.    L’avenir incertain du NFT et de son utilisation

 

L’utilité du NFT, du fait de ses caractéristiques particulières, tend à s’étendre sur plusieurs domaines, bien que l’engouement face aux NFTs soit en déclin.

1. Le NFT, à la fois une des sources et une des solutions face aux contrefaçons 

La lutte contre la contrefaçon n'a d'autre choix que de s'adapter si elle veut faire face aux difficultés d'identifications. Or, de par sa nature, elle incarne un outil permettant d'authentifier, tout en étant l’une des sources du développement de la contrefaçon. Ainsi, depuis l'entrée en vigueur de la directive DAMUN, venue compléter la directive européenne e-commerce du 8 juin 2000, le statut de quasi-irresponsabilité des plateformes en lignes a été remplacé au profit d'une responsabilité graduelle applicable à certaines plateformes. Ce nouveau régime est applicable aux fournisseurs de services de partages de contenus en ligne dont « l'un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l'accès à une quantité importante d'œuvres protégées par le droit d'auteur ou d'autres œuvres protégées qui ont été téléversées par ses utilisateurs ».

Du fait de leur responsabilisation, il revient aux plateformes de partage en ligne de s'assurer de la mise à disposition de contenus protégés par le droit d'auteur par leurs utilisateurs. Pour s'exonérer de cette responsabilité, il revient à la plateforme de partage d'apporter la preuve du respect des obligations mises à sa charge quant à l'information de l'hébergé sur l'obligation de respecter le droit d'auteur (Article L. 137-2 I du Code de la propriété intellectuelle). De même, il revient aux plateformes de partage en ligne d'assurer l'indisponibilité des contenus illicites et d'agir rapidement, dès la réception d'une notification par les titulaires de droits, pour en bloquer l'accès (take down), et empêcher ainsi un nouveau téléchargement de contenu litigieux (stay down). Ainsi, le NFT serait un moyen de prouver la titularité des droits du demandeur.

Par ailleurs, le NFT n’est pas exclusivement présent dans le monde de l’art. Son utilité peut être étendue à des domaines différents, à l’instar de son utilisation dans le monde automobile, dans le but bien précis de fidéliser la clientèle. La marque automobile Alfa Roméo a récemment annoncé vouloir associer un NFT à ses nouveaux modèles, dans le but de le mettre en valeur, une première dans ce secteur. Ainsi, lorsque le propriétaire revend sa voiture, il pourra y joindre le NFT affilié, ce qui permet notamment d’éviter toute falsification sur le véhicule.

« Sur le marché des voitures d’occasion, la certification NFT représente une source supplémentaire de crédibilité sur laquelle les propriétaires ou les réseaux de distribution pourront compter ».

 

2. Le NFT, de la ruée vers l’or à la ruée vers l’ombre ?

En mars 2021, le NFT du premier tweet de l’histoire a été vendu à 3 millions de dollars. Un an après, les enchères liées au certificat numérique ne parviennent pas à dépasser les 10 000 dollars, soit 300 fois moins que sa valeur de départ. Selon NonFungible.com, les ventes hebdomadaires de NFT ont diminué de plus de 80% par rapport à leur sommet de début janvier, soit de près d’un milliard de pounds.

Néanmoins, cette baisse pourrait être l’occasion pour les NFT de se révéler sous un autre jour, à l’instar de la technologie blockchain en 2018. Le prochain boom NFT pourrait le sortir de son aspect purement spéculatif pour faire émerger son aspect révolutionnaire.  Ainsi, le NFT n’a pas perdu d’intérêt dans le monde de l’industrie. Les passionnés du domaine continuent de croire que le marché va se rétablir au profit de nouveaux projets. Cet enthousiasme est partagé par Binance, qui a récemment collaboré avec Cristiano Ronaldo pour lancer sa collection de produits numériques. La société Meta a également publié un guide visant à défendre les NFT, en plus de les faire entrer sur Instagram. Dans ce guide, elle estime que les NFT ont la possibilité d’être un élément essentiel de la façon dont sont formées les identités en ligne, d’accéder à de nouvelles expériences et à interagir avec les autres dans le Metaverse.

Si le marché des NFT poursuit son chemin sans trop s’inquiéter, un risque reste présent : celui de l’effondrement des cryptomonnaies, qui pourrait condamner durablement toute l’économie des NFTs.

Leila BELARD de La Robe Numérique

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